Coluche pas mort !
La droite a gagné les élections, la gauche a gagné les élections. Quand est-ce que ce sera la France qui gagnera les élections ?
Pourquoi des mecs élus par nous pour faire ce que l'on veut, au lendemain des élections, font ce qu'ils veulent ?
À quoi ça sert le pouvoir si ce n'est pas pour en abuser ?
La droite est nulle, la gauche est nulle. Je vote match nul !
La droite vend des promesses et ne les tient pas. La gauche vend de l'espoir et le brise.
Les journalistes ne croient pas les mensonges des hommes politiques, mais ils les répètent ! c'est pire !
Quand je vois un mec qui n'a pas de quoi bouffer qui va voter, ça me fait penser à un crocodile qui se présente dans une maroquinerie !
La moitié des hommes politiques sont des bons à rien. Les autres sont prêts à tout.
J'ai retrouvé une interview de Coluche parue dans le Monde à la suite de son retrait de la vie politique (sic !) Ce qui est amusant dans ses propos, c'est que cette interview pourrait paraître demain. Remplacer, Giscard par Chirac ou Sarkozy, Barre par Villepin et vous y êtes... Rien n'a vraiment changé, et c'est reparti pour un tour !
« L'état de la France »
Le Monde, 27 mars 1981
Le président de la République, dans son intervention télévisée, a dit qu'il rendrait la France dans l'état où on la lui a donnée. Je serais curieux de savoir comment il va faire pour tout remettre en ordre d'ici à la fin de son septennat. Peut-être compte-t-il faire disparaître les chômeurs d'un coup de baguette magique, peut-être va-t-il régler le problème de l'inflation avec l'autre main, tandis que, se grattant la tête d'une troisième main, il trouverait dans les mensonges à venir les promesses qu'il n'avait pas faites la dernière fois.
Tout au long de ma « candidature rigolote », il m'a été donné pour la première fois de ma vie l'occasion de rencontrer des journalistes étrangers (TV américaine, japonaise, allemande, brésilienne, norvégienne, anglaise, arabe, israélienne, italienne, espagnole, portugaise, belge, suisse, yougoslave, etc.).
Tous avaient un point commun : ils étaient prêts à en rire, prêts à se moquer de la France et de son président de la République, qui, comme vous le savez peut-être, parcourt le monde, donnant aussi bien à droite qu'à gauche des leçons de démocratie. On m'a souvent dit que je n'aurais pas fait « ça » sous De Gaulle.
Je ne sais pas si c'est vrai, le fait est que c'est sous Giscard que ça s'est passé. Pourquoi tous les journalistes étrangers sont-ils prêts à se moquer de M. Giscard d'Estaing ?
Pourquoi 10 % de la population, 20 % des chômeurs, 30 % des motards et 27 % des abonnés du Nouvel Observateur sont-ils prêts à voter pour un clown ? Peut-être M. Giscard d'Estaing connaît-il la réponse, lui qui a mis la France dans cet état.
Question : où M. Giscard d'Estaing va-t-il faire campagne ?
Sûrement pas dans le Nord où les mines sont fermées.
Sûrement pas en Bretagne où les plages sont polluées.
Sûrement pas dans l'Est où la sidérurgie est en panne.
Sûrement pas à Saint-Étienne à cause de la veuve Manufrance.
Sûrement pas en Corse où ses camarades CRS font si bien le ménage.
Mais peut-être en Centrafrique où, depuis le 4 février 1981 (ça fait un mois et demi), le Président nommé par ingérence a reçu un chèque pour la vente des diamants — qui comme chacun sait n'ont jamais existé.
Si un jour la Croix-Rouge centrafricaine touche ce pognon, elle pourra dire merci au Canard enchaîné. C'est la nouvelle devise qui pourrait s'inscrire au frontispice de la nation.
Je ne vous parlerai pas de Raymond Barre, éminent économiste que le monde entier nous envie, mais que pourtant il nous laisse, nommé il y a cinq ans pour lutter contre l'inflation et relancer l'économie...
Je ne vous parlerai pas de MM. Blanc et Bonnet pour éviter un jeu de mots.
Je ne vous parlerai pas de M. Peyrefitte qui, malgré ses grandes oreilles, n'a pas entendu arriver l'hélicoptère !
Je ne vous parlerai pas de M. Lecanuet, afin d'éviter de parler pour ne rien dire.
J'aimerais bien qu'on m'explique comment, depuis des dizaines d'années, des ministres de la Culture passent sans souci à l'Agriculture, du Budget à la Guerre, et de l'Intérieur à l'Extérieur. C'est bien beau d'être ministre, mais, de là à être ministre de n'importe quoi, il y a une marge ; quand on est chef comptable, on n'est pas chef de gare, et pourtant on est chef.
J'aimerais bien qu'on me cite un ministre qui ait fait des études correspondant à ses fonctions. Ce serait le minimum. On se demande des fois pourquoi d'éminentes sommités françaises n'ont jamais eu de postes au gouvernement. La réponse est simple : elles ne sont pas « copains avec l’UDF ».
Pour que la France se retrouve un jour dans un meilleur état, il faudrait déjà qu'on utilise les compétences dont elle dispose.
L'état de la France, c'est aussi son état industriel.
Quel est, selon vous, le problème des usines Boussac, Manufrance, Rhône-Poulenc, ou celui des textiles du Nord et de la sidérurgie de l'Est ? Toutes ces usines qui ferment et ces régions qui meurent ont un point commun : elles sont démodées économiquement. Ce que l'on fabriquait dans ces usines, ce que l'on extrayait de ces mines ne se vend plus. Il y a quinze ans, il fallait faire quelque chose pour renouveler, il y a dix ans c'était urgent, il y a cinq ans c'était indispensable, aujourd'hui, c'est trop tard.
L'état de la France, c'est aussi son humeur.
Le rire est suspect : être gai c'est être subversif, nous vivons le temps de la télévision gnangnan, de ces émissions-somnifères faites les unes par-dessus les autres avec du papier calque. Les forains sont interdits dans les villes, et dans les campagnes les bals sont fermés : ils faisaient trop de bruit.
Tout le monde s'emmerde.
Bref, on a tous les droits pourvu qu'on ne fasse rien. « Soyez raisonnables » : chauffez-vous à 19 degrés, mettez un pull-over pour dormir, évitez d'être témoins dans les accidents si vous ne voulez pas d'ennuis, dénoncez votre voisin, ne vous lancez pas dans le commerce, ne prenez pas de risques, faites un troisième enfant, choisissez entre être chômeur ou mal payé, ou bien faites des études, vous finirez bien un jour par trouver du travail dans une usine qui fabriquera n'importe quel produit pourvu que, à un moment, le produit soit foutu et qu'il faille en acheter un autre.
Les Français n'ont pas été très malins, pour une faible majorité, d'élire M. Giscard d'Estaing ; il leur redemande pourtant d'être encore plus cons et de recommencer.
Alors : l'état de la France ? ... On me répondra sans doute que les raisons d'État c'est des tas de raisons.
J'invite M. Giscard d'Estaing à expliquer ce qu'il entend par : « Je vous rendrai la France dans l'état où vous me l'avez confiée. »
Télécharger le document en PDF - les entretiens Coluche par Coluche, nuit gravement aux cons Livre de poche, 6,50 €.
Et toujours le kit électoral...